Il est interdit de par la loi d’appeler son cochon Napoléon : vrai ou faux ?

Vous avez pu lire ailleurs sur Internet qu’il était interdit par la loi d’appeler son cochon Napoléon. Soucieux de démêler le vrai du faux dans une masse d’informations pas toujours vérifiées, sachez que vous êtes arrivé au bon endroit pour connaître la bonne réponse !

Il est souvent répété que la loi interdit d’appeler son cochon Napoléon

Est-ce qu’à force de répéter une histoire, elle peut devenir vraie ? On peut en douter. Toutefois, la répétition d’une information finit par laisser penser qu’il doit y avoir un fond de vrai. C’est le cas de l’information selon laquelle la loi française interdit d’appeler son cochon Napoléon.

Des médias réputés sérieux comme Le Monde (c’était le cas dans un article daté du 7 février 2013) relaient cette information, souvent en insistant sur l’aspect législatif de l’interdiction. L’information laisse entendre que les lois françaises ne sont pas toujours fondées et peuvent se révéler absurdes. Pourquoi pas, peut se dire le lecteur. Quant aux personnes qui diffusent ce type d’information, elles savent que cela correspond à une certaine demande sur Internet. Dans ce cas, même si l’information est douteuse, pourquoi se priver d’une source de trafic qui permet d’augmenter sa visibilité sur la toile ?

Certains médias se montrent un peu plus sérieux que d’autres. Si France TV Info relaie l’information, en 2014, le journaliste qui la relaie constate que le texte est introuvable. Mais cela n’empêche pas l’information de continuer à être relayée. En 2014 toujours, CNEWS parle d’une interdiction datant du Premier Empire, sans référence précise. En 2015, RTL prétend que la loi figure dans le Code civil qui date de 1804. En 2017, le quotidien Ouest-France évoque le XIXe siècle mais souligne le fait que les historiens ne datent pas le texte, sans s’étonner du fait qu’un historien ne peut que dater un texte. Sauf si celui-ci n’existe pas.

Trouver une source fiable pour répondre à la question

Notre article a pour objectif d’en finir avec cette question. Pour cela, nous nous appuyons sur les recherches d’une professeure de lettres modernes, Sophie Muffat, qui a travaillé sur le Directoire, le Consulat et le Premier Empire et qui publie un article dédié à la question sur un site Internet consacré à Napoléon. L’énumération précédente a montré qu’il n’y avait guère à attendre d’écrits de journalistes en quête de clics et pressés d’en finir avec un sujet finalement léger et dont ils se disent peut-être que ce n’est pas très grave si l’information relayée est fausse, tant qu’elle semble plausible.

Mme Muffat a cherché dans les documents anciens et est arrivée à la conclusion suivante : cette loi dont tout le monde parle n’existe tout simplement pas. Il s’agit donc d’une fausse information, relayée à l’envi. Qu’en est-il vraiment ? Et y a t-il un début d’explication à cette fausse information ?

Une exploration méthodique de la question

Sophie Muffat a d‘abord pensé qu’il pouvait exister une caricature de Napoléon sous les traits d’un cochon. En effet, l’empereur a suscité un nombre impressionnant de représentations de nature satirique. La caricature anti-napoléonienne n’était pas le seul fait du grand ennemi qu’a longtemps été l’Angleterre, et se développait aussi en Allemagne, en Russie et en France même. Lorsque les caricatures représentaient Napoléon sous des traits humains, elles insistaient sur sa petite taille ou son embonpoint par exemple. Il a été représenté sous les traits d’un singe, d’un chien ou d’un coq, animal dont la tête pouvait être remplacée par celle de l’empereur. Quelle que soit leur forme, les caricatures anti-napoléoniennes le ridiculisent souvent. Toutefois, il semblerait qu’il n’existe aucune représentation de Napoléon en cochon.

Il existe bien un lien entre Napoléon et le cochon, mais il est très récent et date du XXe siècle. L’écrivain, essayiste et journaliste anglais George Orwell publie en 1945 Animal Farm traduit en français par La ferme des animaux. Il s’agit d’un roman court écrit sous la forme d’une fable animalière. L’auteur y développe une satire de la Révolution russe et une critique du régime soviétique, en particulier du Stalinisme. Mais l’œuvre dépasse en réalité cette seule cible pour s’attaquer aux régimes autoritaires et au totalitarisme en général.

L’une des figures principales de l’histoire est Napoléon (César dans les premières traductions françaises, Napoleon en anglais), un gros verrat de race Berkshire qui était l’allégorie de Joseph Staline. Le choix du nom Napoléon n’a pas été explicité par l’auteur. Deux hypothèses sont possibles pour l’expliquer, l’une n’excluant pas l’autre. En faisant référence à l’empereur français, George Orwell montrait par-là que la portée de son ouvrage ne se limitait justement pas à la Révolution russe. C’était aussi sans doute une référence plus directe au contexte russe : les Trotskistes qui s’opposaient à Staline désignaient sous le terme de Bonapartisme le pouvoir de Staline. Le nom “Napoleon” a été traduit par César dans la première édition française de l’ouvrage, chez O. Pathé, en 1947. Cela restait fidèle à l’esprit et aux messages de l’ouvrage car le « Césarisme », dans le contexte de l’analyse politique marxiste, est un équivalent de « Bonapartisme ». Cela vient du fait que l’éditeur refusait l’idée qu’un cochon puisse s’appeler Napoléon. Gallimard, éditeur de la seconde édition, fit le même choix. Ce n’est qu’à partir de 1981, que le cochon se nomme bien aussi Napoléon en français.

La réalité historique est donc bien éloignée des rumeurs qui se sont auto-entretenues à force d’être reprises sans vérification. Aucune loi n’interdit quoi que ce soit. L’histoire est simplement celle d’un cochon, personnage de littérature, que des éditeurs refusaient de nommer comme il l’était dans l’édition originale.

De la nécessité de vérifier une information

Cette histoire est assez anecdotique mais laisse songeur quant au fait que des sources d’information que l’on peut penser fiables sont tout de même capables d’en relayer des fausses. Internet a massifié la quantité d’informations en circulation et a en effet permis le développement de ce que l’on appelle les fausses informations (fake news).

Mais le fait de propager l’idée que la loi interdit d’appeler son cochon Napoléon relève-t-elle vraiment de cette catégorie ? Une fake news est considérée comme une information mensongère, manipulée intentionnellement dans le but d’induire le public en erreur. Ici, à part le souhait de densifier le trafic et d’augmenter le nombre de visiteurs sur un site, il est difficile de déceler une réelle mauvaise intention.

Toutefois, en creusant un peu plus, on peut se dire qu’aussi anodine que puisse paraître cette fausse information selon laquelle la loi interdit d’appeler son cochon Napoléon, elle peut tout de même alimenter des idées qui reflètent la crise que peuvent connaître nos démocraties contemporaines. En effet, cette information est souvent associée à d’autres informations (vraies ou fausses, nous ne pouvons le dire car nous ne nous sommes concentré que sur celle-ci) pour étayer un titre évoquant le fait que les lois françaises contiennent leur lot d’absurdité. Or, la justice est l’un des piliers de nos sociétés démocratiques et si elle vacille, c’est l’ensemble de la société qui peut vaciller avec elle. Il y a finalement peut-être de quoi faire peur.

Aujourd’hui, peut-être plus que jamais, il est indispensable de vérifier les informations qui nous parviennent. Bien sûr, cela demande du temps et nous ne l’avons pas toujours. Peut-être pouvons-nous d’abord faire un tri entre ce qui est important et ce qui n’est pas important et ensuite, ne relayer que ce dont nous sommes sûrs. Ce n’est que de cette façon que chacun pourra, à son échelle, participer à un fonctionnement un peu meilleur de la société.

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